mercredi 14 octobre 2009

Ex-Yougoslavie : Le football, un prolongement de la guerre…


« La guerre n'est qu'un prolongement de la politique par d'autres moyens » selon von Clausewitz mais en Serbie et en Croatie, c’est aujourd’hui en marge des matchs de football que les morts se dénombrent

Hooliganisme classique ? Non, encore et toujours la guerre, s’alarme Novi List, un journal croate…

Un jeune supporter bosniaque tué à Siroki Brijeg, en marge d’une rencontre opposant Siroki au Football Club de Sarajevo [deux équipes supportées respectivement par les Croates et les Musulmans du pays].

Un jeune Français qui succombe à ses blessures à Belgrade après avoir été agressé par des hooligans serbes à l’occasion du match opposant le Toulouse Football Club au Partizan de Belgrade.

La police de Timisoara qui arrête près de 160 personnes après une violente bagarre opposant “ultras” de Belgrade et de Zagreb…

En l’espace d’une semaine, le foot a quitté les terrains de sport et envahi les pages des faits-divers, devenant le principal sujet politique dans l’espace ex-yougoslave.

On ne signale plus les visages ensanglantés et les nez cassés : désormais, on compte les morts et les blessés graves. Les journaux télévisés s’ouvrent sur ces images, comme lors de la dernière guerre. Les acteurs sont les mêmes qu’alors : les Croates, les Serbes et les Musulmans.

S’agit-il d’une poignée de hooligans, comme partout dans le monde, ou de quelque chose de beaucoup plus grave ?

La guerre qui a ravagé l’ex-Yougoslavie a-t-elle jamais cessé ?

Ici, les armes se sont tues, mais elles n’ont pas disparu. Les treillis ont été remplacés par les écharpes des Hodre Zla [les “hordes du mal”, ultras de Sarajevo], des Grobari [les “fossoyeurs”, du Partizan Belgrade], des Delije [“héros” de l’Etoile Rouge] de la Torcida Hajduk Split ou des Bad Blue Boys, du Dinamo de Zagreb.

“La lutte contre la violence est notre priorité”, a déclaré le président serbe, Boris Tadic, en allumant une bougie en mémoire du supporter toulousain Brice Taton. “Aujourd’hui, cette lutte est plus importante que l’intégration européenne ou que toute autre question en Serbie. Je vois un lien entre cette violence et celle des années 1990 qui a produit des crimes insupportables dans l’espace de l’ex-Yougoslavie”…

Car ce n’est pas le fait de soutenir un club de foot que le jeune Français a payé de sa vie : il a été châtié en tant qu’“ennemi”, responsable du bombardement de l’OTAN [contre la Serbie en 1999], bien qu’il n’y soit pour rien. Ce qui se passe dans les Balkans sous le prétexte du foot et du soutien aux clubs locaux a peu de choses à voir avec le phénomène des hooligans ailleurs en Europe, phénomène que l’on combat, comme en Grande-Bretagne, par des méthodes qui ont fait leurs preuves.

Dans les Balkans, plus la répression est sévère, plus la violence grandit. Qui plus est, elle franchit les frontières. Aujourd’hui, les groupes ultras des deux (grandes) équipes Croates ennemies, Dinamo Zagreb et Hajduk Splits’arrangent pour organiser des “embuscades” sur les routes qui mènent aux rencontres de leurs équipes partout en Europe. Et, si en Croatie, il n’y a pas encore de morts, ce n’est qu’une question de temps.

Après le scandale international provoqué par la mort de Brice Taton, la Serbie a annoncé une grande action contre la violence dans les stades, à l’image de l’opération Sablja [“sabre”], lancée après l’assassinat du Premier ministre Zoran Djindjic [en mars 2003], qui a servi à éliminer les chefs de la mafia locale.

En Bosnie-Herzégovine, où l’Etat existe à peine, la rue menace de prendre le pouvoir, ce qui laisse présager un conflit permanent aux conséquences effroyables. Cependant, la solution à tout ce qui se passe aujourd’hui avant et après les matchs de foot ne se trouve ni dans le sport ni dans l’action de la police. Le philosophe Ugo Vlaisavljevic, de Sarajevo, a récemment suscité une vive polémique avec un texte intitulé “La guerre comme principal événement culturel”, dans lequel il affirme : “La spécificité de l’expérience locale de la guerre réside dans le fait que, après la guerre, la politique continue à vivre de la guerre. J’affirme que nous vivons de manière permanente sous le régime des politiques de la guerre. En produisant constamment des ennemis, celles-ci ne peuvent apporter la pacification. Lorsqu’on parle aujourd’hui, en Bosnie-Herzégovine, de la nécessité de la réconciliation, on oublie que ceux qui sont censés nous réconcilier sont issus de la guerre. Par conséquent, ils établissent leur politique, leur identité et leur vision de la réalité sur l’expérience de la guerre. Pour eux, la réconciliation signifie l’autodestruction.”


# Novi List (Le Nouveau Journal), quotidien indépendant de Rijeka, sort en deux versions, nationale et régionale. Connu pour la qualité de ses commentaires, il propose des débats sur l'actualité politique, économique et culturelle…



# Carl von Clausewitz (1780 – 1831) est un officier théoricien prussien, auteur d’un traité majeur de stratégie militaire : « De la guerre »…