mercredi 3 mars 2010

Argentine : 1913 quand le football devint « fútbol »…(Vol II)


Avec le sport lui-même, on avait également importé des îles Britanniques les valeurs et la qualité de jeu qui lui étaient associées. Dans la première décennie du xxe siècle et jusqu'à la Première Guerre mondiale, le football argentin se développa sous l'influence des excellentes équipes anglaises qui venaient jouer à Buenos-Aires. Southampton, Nottingham Forest, Everton, Tottenham et Chelsea, toutes des équipes professionnelles, triomphèrent en Argentine, gagnant tous leurs matches.

Les clubs locaux, enracinés dans les internats anglais et disposant de joueurs d'origine britannique, dominaient le championnat national. Dans un paysage global rythmé par les visites des équipes britanniques, le mythe de l'invincibilité de leur style de jeu émergea. En outre, régnait localement une tradition d'hégémonie britannique. Les conditions étaient réunies pour que couve une nouvelle manière de jouer, calquée sur ce que l'on considérait sur place comme le style britannique.

Le football devint rapidement très populaire à Buenos Aires et partout en Argentine. Après 1900, un grand nombre de clubs de football furent fondés à Buenos Aires et dans les villes des alentours comme Quilmes, Banfield et Avellaneda. La majorité des nouveaux clubs incorpora des immigrés européens et leur fils, ou, furent directement créés par eux. On peut considérer la compétition entre les équipes britanniques et les nouveaux clubs « mixtes » comme le point de départ d'une créolisation inventive.

Les Britanniques étaient les fondateurs du jeu ; ils en avaient codifié les règles, ils avaient développé sa morale basée sur le fair-play, ils avaient construit un style de jeu et l'exportaient dans le monde entier. Les Argentins de naissance et les immigrants adoptèrent le football comme un loisir et une pratique corporelle essentiels, y trouvant un merveilleux moyen d'exprimer rituellement leurs antagonismes tout en manifestant ostensiblement leurs engagements et leur esprit de loyauté. La complexité sociale et culturelle de Buenos-Aires au début du siècle créait un milieu social et culturel favorable à la créativité.

Le sport devint un domaine de création d'identités aussi légitime que les écoles et les casernes militaires. Les sports populaires et les sports d'élite n'étaient pas seulement une sorte de miroir braqué sur soi. Ils permettaient aussi à l'Argentine de participer à des concours internationaux et d'être observée par les autres.

À travers le sport, des Argentins de différentes classes sociales et de différents groupes ethniques pouvaient être promus au rang de porteurs de valeurs et de traits nationaux. Dans le développement du paysage sportif mondial, les jeux Olympiques et les différentes compétitions internationales ou régionales jouaient un rôle substantiel. Par ailleurs, dans de nombreux sports importants, la création identitaire était marquée par le pouvoir et la prédominance de l'image d'excellence britannique, comme dans le cas du football et du polo.

Le moment décisif dans la création d'un véritable « football créole Argentin » fut la victoire du Racing Club dans le championnat national en 1913. Cette victoire fut définie comme la « victoria criolla »  (victoire créole) et le Racing Club fut alors populairement considéré comme la « première grande équipe créole » (el primer gran equipo criollo). Dans cette perspective, le terme « créole » était associé au fait que tous les joueurs portaient des noms espagnols (castillans, galiciens ou basques) ou italiens, comme Olazar, Ohaco, Crocce, Perinetti, Hospital, Castagnola, Marcovecchio et Zabaleta...