"Si les supporters manifestaient leur appartenance de classe, les hooligans sont travaillés par la passion d'eux-mêmes. Ces nouveaux fans sont à la société de communication ce que leurs ainés ont été à la société industrielle."
"La violence des hooligans n'a rien d'archaïque ni de bestial,
bien au contraire. Elle est l'expression du rêve individualiste contemporain
qui pousse chacun à être l'acteur de sa propre vie plutôt que le spectateur de
celle des autres. Provenant pour la plupart de la classe ouvrière et destinés à
l'occupation de postes subalternes et anonymes, ces outsiders se fabriquent une
identité sociale monstrueuse qui les rend uniques."
"Les hooligans ne sont pas un univers de masses informes et
dangereuses. Ce n’est pas parce qu’ils font masse qu’ils sont dangereux, mais
parce qu’ils cherchent à en sortir pour partie du spectacle. Par ce mouvement
même, ils brisent la règle d’or du sport qui exige que les spectateurs ne
soient pas les acteurs. Ils mettent en cause les vertus pédagogiques du
spectacle sportif en transformant leurs émotions en actions, en ne
différenciant plus l’ordre de l’émotion, qui appartient aux gradins, et celui
de l’action, qui relève de la scène. Les désordres dans les stades sont à
l’opposé de conduites de foules. Ils manifestent au contraire une volonté de
rendre visibles qu’eux-mêmes. Ils sont, dans une version populaire, exemplaires
de cette relation à l’égalité qui nous pousse à devenir des individus. Car
l’individualisme n’est pas seulement une nouvelle douceur de la société, une
liberté ouverte à chacun dans une société pacifiée, comme le laisse croire une
vision euphorique de la modernité. Le « droit à la différence », l’injonction à
devenir « soi-même » n’a rien en soi de cool. Ces normes de vie peuvent être,
comme ici, un refus brutal de règles sociales et sportives, qui sont faites par
d’autres, une révolte sans revendication contre un système hiérarchique où l’on
ne peut ou ne pense pas trouver sa place, sauf en bas."
"L'hooliganisme est d'abord un aspect du culte contemporain
pour les apparences : une stratégie du paraître qui s'appuie en partie sur
des comportements déviants. Paraître ou ne pas paraître désigne la différence
majeure entre un supporter et un hooligan. Le paraître - à ne pas confondre
avec le faux qui est tout autre chose puisqu'il suppose l'illusion - est un
impératif social qui se démocratise : il touche de plus en plus les couches
inférieures des sociétés occidentales."
Alain Ehrenberg, Le Culte de la performance, (Calmann-Lévy)
Alain Ehrenberg, (né à Paris en 1950) est chercheur au Centre Edgar-Morin, codirecteur du
groupement de recherche « Psychotropes, politique, société » au CNRS
et Directeur du Centre de recherche Psychotropes, Santé mentale, Société. Il
est l’auteur d’une thèse de sociologie intitulée Archanges, guerriers,
militaires et sportifs...
Dans le Culte de la performance, il analyse ce qui pousse ces entrepreneurs,
aventuriers, sportifs, et/ou autres chômeurs à créer leur propre entreprise
avec pour certains une telle percée sur la scène publique qu'il n'est pas
incongru de parler d'un véritable culte de la performance.
L'auteur y explore les mutations de sensibilité à l'oeuvre dans ces
nouvelles mythologies. Il décrit comment se modifient les moeurs d'une société
quand ses modèles politiques institués ne fournissent plus de solutions
crédibles aux problèmes majeurs auxquels elle est confrontée et quand les
utopies de la société idéale ont disparu...