lundi 12 avril 2010

Ultras et/ou Hooligans, une ambiguïté sur laquelle joue le Ministère de l’Intérieur…


Les groupes se définissant comme ultras et ceux se considérant comme hooligans sont apparus en France, pour la plupart, de manière concomitante au milieu des années 1980.

S’ils ont à l’origine été amalgamés par les amateurs de football, les médias et le grand public, ils ont toujours cherché à se différencier les uns des autres. En particulier, les ultras qui s’engagent activement tant au stade que dans la vie quotidienne du club ont tenu à se démarquer des hooligans pour rendre leur pratique acceptable et souligner qu’ils n’étaient pas centrés sur la violence.

Progressivement, ils ont réussi à s’implanter dans les stades français au point désormais d’y mener l’ambiance. Ainsi, la distinction entre les ultras, perçus comme les supporters les plus fervents, ceux qui animent les tribunes tout en étant parfois trop turbulents et excessifs, et les hooligans considérés comme de systématiques fauteurs de troubles est bien connue des amateurs de football.

Quand cette différenciation est effectuée, il est généralement affirmé que leur moindre violence distinguerait les ultras des hooligans. En fait, la différence est bien plus profonde. Elle se traduit dans leurs modes d’organisation, leurs types de participation au spectacle, leurs relations avec le monde du football ou leur manière d’appréhender la violence.

Essentiellement préoccupés par la recherche de l’affrontement avec les supporters extrêmes adverses ou avec la police, les hooligans s’investissent peu dans l’ambiance au stade et dans la vie du club. Au contraire, si les ultras ont parfois recours à la violence quand ils estiment que l’honneur de leur club ou de leur groupe est en jeu, ils ne la recherchent pas à tout prix : Elle ne constitue pour eux qu’un moyen d’action parmi d’autres...

Les ultras cherchent également à jouer un rôle au sein de leur club. Tandis que les hooligans forment des bandes informelles cultivant le secret, les groupes ultras adoptent une forme associative. Les hooligans sont avant tout à la recherche d’émotions fortes alors que les ultras, au-delà de la dimension émotionnelle également importante chez eux, s’engagent dans une « cause » selon une logique de « mouvement social ». Ils se conçoivent comme un contre-pouvoir ou comme un syndicat des supporters, tant à l’échelle locale que nationale : ces dernières années, les groupes ultras de tout le pays ont tenté à plusieurs reprises de coordonner leurs actions pour lutter contre la répression qu’ils estiment excessive à leur égard et pour défendre un football « populaire » contre la hausse du prix des billets de match et les « dérives » du « football business ».

Au final, les hooligans ne forment que des groupuscules tandis que les ultras cherchent à mobiliser largement les supporters pour soutenir l’équipe le plus efficacement possible et à être des acteurs à part entière du monde du football. Par conséquent, les hooligans peuvent bien plus facilement assumer la violence que les ultras.

Si leurs logiques sont distinctes, ultras et hooligans français se ressemblent sous certains aspects. Même si cette volonté se traduit de diverses manières, les uns et les autres cherchent à se distinguer des autres supporters, des ultras pour les hooligans et des hooligans pour les ultras, mais surtout de l’image répandue et dépréciative du supporter « beauf ». Ils stigmatisent à juste titre ceux qu’ils appellent les « mastres », les « footix » qui peuplent selon eux les stades, celui qui n’est pas ultra (ou hooligan), et, par contraste, ce qu’est un ultra (ou un hooligan). Pour les ultras, le « footix » ne s’écarte pas du stéréotype du fan, il est déguisé, il n’est pas assez actif dans le soutien à l’équipe, il ne participe pas correctement aux chants et aux tifos, il adule les joueurs, il ne porte pas un regard critique sur le monde du football...

Pour mériter aux yeux de ses pairs et aux siens le qualificatif d’ultra, il ne suffit pas d’encourager au maximum son équipe, il faut aussi réfléchir à ses actes, ne pas s’habiller de manière ridicule, du style « perruque à la Lensoise », il faut inspirer le respect, au besoin en suscitant la crainte.

Les ultras comme les hooligans considèrent le football comme un combat entre deux camps : ils ont donc recours à la provocation et à la violence verbale voire physique et ils refusent la morale selon eux hypocrite du fair-play. D’autre part, ils affirment leur « autonomie » par rapport aux dirigeants des clubs et défendent leur propre point de vue. Ils sont aussi contestataires et n’hésitent pas à remettre en cause les joueurs et dirigeants de leur club. Ainsi, ils manifestent leur volonté d’être des acteurs à part entière du football et donc de ne pas vivre leur passion par procuration. Les ultras et les hooligans se passionnent au moins autant pour leurs activités de supporters que pour le football. Leurs centres d’intérêt sont doubles : le football et leur club d’un côté, le « supportérisme » et leur groupe de l’autre.

Les supporters « ultras » ont toujours été perçus en France comme menaçants, tout en étant considérés, pour les ultras, comme les fans les plus fervents.

Après avoir usé à leurs débuts de la provocation, affichant des symboles d’extrême droite et jouant sur des registres violents, les ultras ont rapidement changé d’attitude. A cause de la répression, mais aussi parce qu’ils avaient besoin de susciter des vocations et de drainer derrière eux des supporters participant aux chants et aux tifos et apportant des fonds au groupe en cotisant ou en achetant son matériel (écharpes, tee-shirts, adhésifs…). Pour s’implanter dans les virages français, les ultras se sont présentés comme les « meilleurs supporters », en mettant en avant les dimensions valorisées de leur pratique (le soutien au club, les tifos ou la dimension associative) et en se démarquant ostensiblement des hooligans et de leurs excès violents et parfois (souvent) racistes.

Par conséquent, les hooligans ont été marginalisés (sauf à Paris où ils étaient déjà bien installés), et les ultras ont adopté une attitude moins extrême qu’en Italie. Inversement, ces dernières années, l’institutionnalisation accrue des groupes ultras a sans doute favorisé le développement de petites bandes de 10 à 50 indépendants recherchant plus de radicalité…

Les ultras considèrent qu’ils forment un « mouvement », c’est-à-dire qu’ils appartiennent à un même monde, avec ses pratiques, ses valeurs, ses règles, ses réseaux... Cependant, malgré des expériences et références communes, les manières d’être ultra sont diverses parce que les contextes locaux sont différents, parce que les principes sur lesquels les ultras tendent à s’accorder sont suffisamment généraux pour être diversement interprétés et parce que certains de ces principes sont contradictoires…Du fait de cette complexité du monde ultra, les différences sont significatives entre individus et entre groupes se revendiquant ultras, alors que les bandes de hooligans se ressemblent largement : elles se différencient seulement sur les formes de la violence, notamment l’acceptation ou non de l’usage « d'armes », ou sur la politisation, certains groupes étant marqués à l’extrême droite, d’autres ne se préoccupant pas de politique.

Quand ils finissent par admettre qu’ils ont parfois recours à la violence, les ultras tentent de la présenter comme acceptable. Ils expliquent qu’ils ne la recherchent pas, qu’ils ne font que répondre à des provocations. Les hooligans prennent plaisir à raconter comment ils créent des incidents. Les ultras prétendent que la violence vient à eux en soulignant aussi que cette violence est librement consentie (elle n’implique que des ultras et des hooligans et ne touche donc pas, en théorie du moins, les autres amateurs de football) et qu’elle suit certains codescensés éviter des blessures graves aux protagonistes.

Plusieurs des principaux groupes, réunis dans une coordination des ultras, expliquent qu’ils rejettent la « violence organisée », ce qui est surtout un moyen de se dissocier des hooligans et de se couvrir au cas où un incident surviendrait.

Les rapports entre ultras et hooligans sont donc une source de débats et d’ambiguïtés sur lesquels le Ministère de l’Intérieur joue actuellement dans un soucis d’amalgamer les uns au autres. Ces violences en rapport avec le football (en France) n’ont pourtant rien d’exceptionnelle (malgré la mort récente d’un supporter du KOB) au regard d’autres violences sociétales (cf le « lynchage » d’un jeune homme à Grenoble ce week-end pour une cigarette refusée…) contre lesquelles le Gouvernement a bien du mal à lutter sauf à faire des débats sur l’identité nationale…

La tentation est donc forte du côté de la Place Beauvau de frapper la où c’est le plus facile. Sept associations - Supras, Authentiks, Grinta (PSG) - Butte Pailade, Armata Ultras (Montpellier) – BSN (OGC Nice) – Cosa Nostra (Lyon) pourraient faire l’objet d'une dissolution d’ici la fin du Championnat tandis que de l’autre côté Parisien (Boulogne)  des groupuscules, proches des milieux nationalistes seraient également dans le collimateur des pouvoirs publics…

Pourtant la place de la violence dans le monde ultra est paradoxale. Elle est marginale, dans la mesure où elle ne concerne qu’une minorité de membres et cependant, elle est centrale en ce sens qu’elle est la valeur ultime, ce qui permet de trancher les différents et de tester la solidarité du groupe…