Les groupes se définissant comme ultras et ceux
se considérant comme hooligans sont apparus en France, pour la plupart, de
manière concomitante au milieu des années 1980.
S’ils ont à l’origine été amalgamés par les
amateurs de football, les médias et le grand public, ils ont toujours cherché à
se différencier les uns des autres. En particulier, les ultras qui s’engagent
activement tant au stade que dans la vie quotidienne du club ont tenu à se
démarquer des hooligans pour rendre leur pratique acceptable et souligner
qu’ils n’étaient pas centrés sur la violence.
Progressivement, ils ont réussi à s’implanter
dans les stades français au point désormais d’y mener l’ambiance. Ainsi, la
distinction entre les ultras, perçus comme les supporters les plus fervents,
ceux qui animent les tribunes tout en étant parfois trop turbulents et
excessifs, et les hooligans considérés comme de systématiques fauteurs de
troubles est bien connue des amateurs de football.
Quand cette différenciation est effectuée, il est
généralement affirmé que leur moindre violence distinguerait les ultras des
hooligans. En fait, la différence est bien plus profonde. Elle se traduit dans
leurs modes d’organisation, leurs types de participation au spectacle, leurs
relations avec le monde du football ou leur manière d’appréhender la violence.
Essentiellement préoccupés par la recherche de
l’affrontement avec les supporters extrêmes adverses ou avec la police, les
hooligans s’investissent peu dans l’ambiance au stade et dans la vie du club.
Au contraire, si les ultras ont parfois recours à la violence quand ils
estiment que l’honneur de leur club ou de leur groupe est en jeu,
ils ne la recherchent pas à tout prix : Elle ne constitue pour eux qu’un
moyen d’action parmi d’autres...
Les ultras cherchent également à jouer un rôle au
sein de leur club. Tandis que les hooligans forment des bandes informelles
cultivant le secret, les groupes ultras adoptent une forme associative. Les
hooligans sont avant tout à la recherche d’émotions fortes alors
que les ultras, au-delà de la dimension émotionnelle également importante chez
eux, s’engagent dans une « cause » selon une logique de
« mouvement social ». Ils se conçoivent comme un contre-pouvoir ou comme
un syndicat des supporters, tant à l’échelle locale que nationale : ces
dernières années, les groupes ultras de tout le pays ont tenté à plusieurs
reprises de coordonner leurs actions pour lutter contre la répression qu’ils
estiment excessive à leur égard et pour défendre un football « populaire »
contre la hausse du prix des billets de match et les « dérives » du
« football business ».
Au final, les hooligans ne forment que des
groupuscules tandis que les ultras cherchent à mobiliser largement les
supporters pour soutenir l’équipe le plus efficacement possible et à être des
acteurs à part entière du monde du football. Par conséquent, les hooligans
peuvent bien plus facilement assumer la violence que les ultras.
Si leurs logiques sont distinctes, ultras et
hooligans français se ressemblent sous certains aspects. Même si cette volonté
se traduit de diverses manières, les uns et les autres cherchent à se
distinguer des autres supporters, des ultras pour les hooligans et des
hooligans pour les ultras, mais surtout de l’image répandue et dépréciative du
supporter « beauf ». Ils stigmatisent à juste titre ceux qu’ils appellent
les « mastres », les « footix » qui peuplent selon eux les stades,
celui qui n’est pas ultra (ou hooligan), et, par contraste, ce qu’est un ultra
(ou un hooligan). Pour les ultras, le « footix » ne s’écarte pas du
stéréotype du fan, il est déguisé, il n’est pas assez actif dans le soutien à
l’équipe, il ne participe pas correctement aux chants et aux tifos, il adule
les joueurs, il ne porte pas un regard critique sur le monde du football...
Pour mériter aux yeux de ses pairs et aux siens
le qualificatif d’ultra, il ne suffit pas d’encourager au maximum son équipe,
il faut aussi réfléchir à ses actes, ne pas s’habiller de manière ridicule, du
style « perruque à la Lensoise », il faut inspirer le respect, au besoin
en suscitant la crainte.
Les ultras comme les hooligans considèrent le
football comme un combat entre deux camps : ils ont donc recours à la provocation
et à la violence verbale voire physique et ils refusent la morale selon eux
hypocrite du fair-play. D’autre part, ils affirment leur
« autonomie » par rapport aux dirigeants des clubs et défendent leur
propre point de vue. Ils sont aussi contestataires et n’hésitent pas à remettre
en cause les joueurs et dirigeants de leur club. Ainsi, ils manifestent leur
volonté d’être des acteurs à part entière du football et donc de ne pas vivre
leur passion par procuration. Les ultras et les hooligans se passionnent au
moins autant pour leurs activités de supporters que pour le football. Leurs
centres d’intérêt sont doubles : le football et leur club d’un côté, le
« supportérisme » et leur groupe de l’autre.
Les supporters « ultras » ont toujours
été perçus en France comme menaçants, tout en étant considérés, pour les
ultras, comme les fans les plus fervents.
Après avoir usé à leurs débuts de la provocation,
affichant des symboles d’extrême droite et jouant sur des registres violents,
les ultras ont rapidement changé d’attitude. A cause de la répression, mais
aussi parce qu’ils avaient besoin de susciter des vocations et de drainer
derrière eux des supporters participant aux chants et aux tifos et apportant
des fonds au groupe en cotisant ou en achetant son matériel (écharpes,
tee-shirts, adhésifs…). Pour s’implanter dans les virages français, les ultras
se sont présentés comme les « meilleurs supporters », en mettant en avant
les dimensions valorisées de leur pratique (le soutien au club, les tifos ou la
dimension associative) et en se démarquant ostensiblement des hooligans et de
leurs excès violents et parfois (souvent) racistes.
Par conséquent, les hooligans ont été
marginalisés (sauf à Paris où ils étaient déjà bien installés), et les ultras
ont adopté une attitude moins extrême qu’en Italie. Inversement, ces dernières
années, l’institutionnalisation accrue des groupes ultras a sans doute favorisé
le développement de petites
bandes de 10 à 50 indépendants recherchant plus de radicalité…
Les ultras considèrent qu’ils forment un
« mouvement », c’est-à-dire qu’ils appartiennent à un même monde, avec ses
pratiques, ses valeurs, ses règles, ses réseaux... Cependant, malgré des
expériences et références communes, les manières d’être ultra sont diverses
parce que les contextes locaux sont différents, parce que les principes sur
lesquels les ultras tendent à s’accorder sont suffisamment généraux pour être
diversement interprétés et parce que certains de ces principes sont
contradictoires…Du fait de cette complexité du monde ultra, les différences
sont significatives entre individus et entre groupes se revendiquant ultras,
alors que les bandes de hooligans se ressemblent largement : elles se
différencient seulement sur les formes de la violence, notamment l’acceptation
ou non de l’usage « d'armes », ou sur la politisation, certains groupes étant
marqués à l’extrême droite, d’autres ne se préoccupant pas de politique.
Quand ils finissent par admettre qu’ils ont
parfois recours à la violence, les ultras tentent de la présenter comme
acceptable. Ils expliquent qu’ils ne la recherchent pas, qu’ils ne font que
répondre à des provocations. Les hooligans prennent plaisir à raconter comment
ils créent des incidents. Les ultras prétendent que la violence vient à eux en
soulignant aussi que cette violence est librement consentie (elle n’implique
que des ultras et des hooligans et ne touche donc pas, en théorie du moins, les
autres amateurs de football) et qu’elle suit certains codescensés éviter des
blessures graves aux protagonistes.
Plusieurs des principaux groupes, réunis dans une
coordination des ultras, expliquent qu’ils rejettent la « violence
organisée », ce qui est surtout un moyen de se dissocier des hooligans et de se
couvrir au cas où un incident surviendrait.
Les rapports entre ultras et hooligans sont donc
une source de débats et d’ambiguïtés sur lesquels le Ministère de l’Intérieur
joue actuellement dans un soucis d’amalgamer les uns au autres. Ces violences
en rapport avec le football (en France) n’ont pourtant rien d’exceptionnelle
(malgré la mort récente d’un supporter du KOB) au regard d’autres violences
sociétales (cf le « lynchage » d’un jeune homme à Grenoble ce
week-end pour une cigarette refusée…) contre lesquelles le Gouvernement a bien
du mal à lutter sauf à faire des débats sur l’identité nationale…
La tentation est donc forte du côté de la Place
Beauvau de frapper la où c’est le plus facile. Sept associations - Supras,
Authentiks, Grinta (PSG) - Butte Pailade, Armata Ultras (Montpellier) – BSN
(OGC Nice) – Cosa Nostra (Lyon) pourraient faire l’objet d'une dissolution
d’ici la fin du Championnat tandis que de l’autre côté Parisien (Boulogne) des groupuscules, proches des milieux
nationalistes seraient également dans le collimateur des pouvoirs publics…
Pourtant la place de la violence dans le monde
ultra est paradoxale. Elle est marginale, dans la mesure où elle ne concerne
qu’une minorité de membres et cependant, elle est centrale en ce sens qu’elle
est la valeur ultime, ce qui permet de trancher les différents et de tester la
solidarité du groupe…