Le
FC St. Pauli évoluera la saison prochaine en Bundesliga, la première division
du football professionnel allemand. Ce club centenaire situé dans un quartier
alternatif de Hambourg se détache par l'idéologie libertaire de ses supporters.
Parviendra-t-il à jouer à ce niveau tout en préservant son identité ?
A
chaque offensive, les joueurs du FC St. Pauli passent devant leurs aînés. Les
portraits plus grands que nature de "l’équipe du siècle" ont en effet
été installés devant la future tribune d’honneur, actuellement en chantier. En
attendant la fin des travaux, les joueurs s’entraînent sous l’œil de légendes
comme Walter Frosch, le défenseur aux impressionnantes moustaches blondes,
également détenteur du nombre record de cartons jaunes (il en a reçu 27 durant
la saison 1976-1977, forçant ainsi la Fédération allemande de football à en
limiter l’usage à l’avenir). "Walter Frosch ne joue qu’en équipe première
ou dans la sélection mondiale", avait déclaré l’intéressé alors que le
sélectionneur de l’équipe d’Allemagne, Jupp Derwall, voulait le rétrograder en
équipe nationale espoir. Ancien ramoneur, Frosch buvait sec, fumait et le
reconnaissait sans détour : "Mes pires ennemis, ce sont les
bistrots." A St. Pauli, on aime ce genre de type décalé et franc du
collier, même si cette tradition ressemble de plus en plus au souvenir d’un
passé haut en couleurs.
Le
club se trouve en effet à un tournant de son histoire. Tout St. Pauli baigne
dans l’ivresse de la victoire : cette année, les flibustiers des terrains de
foot sont partis à l’abordage de la première division. La dernière fois que le
club avait rejoint la cour des grands remonte à 2001. Toutefois, l’euphorie
avait tourné court. A l’époque, le club avait pris d’assaut la ligue nationale
dans la plus grande allégresse. Les joueurs comme les fans étaient ivres de
leur différence. Après tout, c’était ça, le FC St. Pauli : dans les tribunes,
les drapeaux de pirates flottaient au milieu de la fumée des joints et le stade
se transformait en véritable farce désuète avec ce public essentiellement issu
des rangs de la gauche. Le club était avant tout fauché. Aussi bondées les
tribunes fussent-elles, l’argent ne rentrait pas. Des loges d’honneur et des
places pour VIP ? Tu parles ! Comment le club aurait-il pu justifier cette
marchandisation auprès des fans ? Les conséquences ne se firent pas attendre :
au bout de seulement un an, St. Pauli redescendit en deuxième division avant de
s’embourber en ligue régionale.
Le
club mit du temps à se remettre de cet échec, quatre années de troisième
division ont laissé des traces. A présent, l’équipe semble en passe de renouer
avec le succès. Corny Littmann, président du club depuis 2003, a en effet fait
mentir tous ceux qui affirmaient que cet homme de théâtre et homosexuel
revendiqué voulait seulement se servir du club comme accessoire pour son mode
de vie sulfureux. Le propriétaire du Schmidt Theater réduisit les dépenses,
instaura un plan de sauvetage et assainit les finances du club. Il se servit
des contre-performances de l’équipe. Les nostalgiques eurent beau pleurnicher –
comme à chaque changement de direction –, Littman parvint à mener sa barque en
ligue régionale. C’est toutefois en 2006 qu’eut lieu le plus grand
bouleversement, avec le début des travaux du stade. Celui-ci est à présent une
infrastructure moderne qui devrait être achevée d’ici 2014. "Le statu quo
n’est pas le fruit du hasard. St. Pauli est aussi bien doté au niveau sportif
qu’économique, notamment avec le nouveau stade", explique Littmann, l’air
satisfait.
L'an
passé, le club a enregistré 1,1 million d’euros de profit, une petite
révolution. Mais alors qu’un homme de cette trempe aurait été acclamé dans
n'importe quel autre club, à St. Pauli, Littmann marche sur des œufs. Aussi
enthousiastes soient-ils, les fans du club sont particulièrement rétifs au
changement. L’image d’"anti-Bayern de Munich" est sacrée à leurs
yeux, c’est la raison principale pour laquelle ils s’identifient au club.
Littmann est conscient de cela et agit en conséquence : il a organisé un
rassemblement de fans pour discuter des prochaines évolutions du club. Prêt à
faire des compromis, il a toutefois défini des limites : "Naturellement,
il y a certains sujets qui ne sont pas négociables. Par exemple, la question de
savoir si nous devons proposer des places de catégorie supérieure. Il en va de
la survie économique du club." Jusqu’à présent, Littmann parvient plutôt
bien à faire le grand écart entre le mythe et la marchandisation du club.
"St. Pauli a changé – Dieu merci –, aussi bien le quartier que le club,
d’ailleurs. Au final, le bilan est positif puisque le club a su garder son
authenticité. C’est aussi un peu le problème, notamment avec le stade.
Evidemment que ce ne sont plus les mêmes toilettes qu’auparavant – heureusement
–, mais celui qui voudra y aller verra tout de même bien qu’il est dans les toilettes
de St. Pauli."
(Traduit d’un article du quotidien
allemand Die Welt)