Le match de vendredi entre la Serbie et
l’Allemagne en Coupe du Monde pourrait être le symbole de l’évolution politique
de l’Europe durant la deuxième partie du XXème siècle avec d’un côté une
Allemagne unifiée après la chute du mur de Berlin tandis que la Serbie de son
côté est le résultat de l’implosion de l’ex Yougoslavie et du bloc soviétique…
De fait, depuis la fin de la Socijalisticka
Federativna Republika Jugoslavija (République Fédérale Socialiste de
Yougoslavie), la Serbie a connu une évolution de son football fortement
impactée par ses mutations politiques. Ainsi alors que la Yougoslavie semblait
au début des années 90 posséder une génération de joueurs plus que prometteuse,
les guerres et les volontés sécessionnistes de ses principales composantes
(Croatie, Bosnie, Monténégro…) ont emporté avec elles et le sang versé toute
cette génération de joueurs de talent et quelques autres après…
Un match va devenir la référence historique de la
lutte engagée contre le pouvoir central Yougoslave, c’est-à-dire contre les
Serbes quand le 13 mai 1990, le Dinamo Zagreb reçoit l'Etoile Rouge de Belgrade
au stade Maksimir, un match classé à haut risque à cause des tensions
politiques existantes entre Serbes et Croates. Lors de ce match, le capitaine
de l'équipe croate, Zvonimir Boban, régulièrement sélectionné en équipe
nationale Yougoslave assènera un coup de pied à un policier en réaction aux
violences de la police, majoritairement composée de Serbes, contre les
supporters Croates.
Ce match arrivait juste au moment où les débats
s'enflammaient entre composantes éthniques de la Yougoslavie et alors que les
supporters de l'Etoile Rouge ont commencé à insulter les supporters du Dinamo
Zagreb, la foule de supporters Croates réussit à rentrer sur le terrain. Il est
à noter que ce match avait une connotation particulière pour l’ensemble des
supporters Croates, puisque n’étaient pas seulement présents les Bad Blue Boys
de Zagreb mais aussi la Torcida Split, la Kohorta Osijek et l’Armada Rijeka
unis face aux Serbes dans ce qui pouvait déjà constituer symboliquement un
match Croatie – Serbie. Les violences se poursuivront dans les rues de Zagreb…
En Juin 1991, la Croatie comme la Slovénie
déclara son indépendance entraînant une riposte nationaliste du gouvernement
fédéral yougoslave qui ne reconnut pas cette déclaration et au nom de la
préservation de l'État fédéral et de la minorité serbe de Croatie, engagea une
guerre (ethnique) avec l'armée (officielle) yougoslave et des groupes
paramilitaires serbes. La guerre commença au moment même où l’Etoile Rouge de
Belgrade, pluriethnique, des Robert Prosinecki (Croatie) Dejan Savicevic
(Montenegro), Sinisa Mihajlovic (de père Bosniaque et de mère Croate, qui
restera fidèle à la Youoslavie) Darko Pancev (Macédoine), Stevan Stojanovic
(natif de Mitrovica au Kosovo) vient de gagner la Coupe d’Europe des Clubs
Champions (actuelle Ligue des Champions). Avec cette génération, la Yougoslavie
se qualifie avec brio pour l’Euro en Suède avant que la FIFA sous la pression
ne la disqualifie pour raisons politiques…
En 1995, les combats prennent fin et la Croatie
entre de plein pied dans le concert des nations. Désormais, la guerre sera
(avant tout) footballistique. De leurs côtés, les Serbes reconstruisent leur football. La
sélection garde la couleur bleue pour son maillot et le drapeau yougoslave
débarrassé de l’étoile rouge. Ils gardent cette tenue bleu-blanc-rouge,
réminiscence nostalgique des participations Yougoslaves aux Coupes du Monde de
1974 et 1990. Politiquement la Serbie se recentre vers le grand frère Slave de
Russie tandis que la Croatie reçoit le soutien des Occidentaux et entre dans un
processus de modernisation. Ainsi longtemps , la Serbie s’accrochera
à son vieux rêve d’unité Yougoslave. Si la fédération des Slaves du Sud a
disparu depuis 1992, il faut attendre 2003 pour qu’elle disparaisse enfin
officiellement. Elle prend alors le titre de Serbie-Montenegro, dans le
prolongement de cette fin des années 1990 marquées par l’abandon du
nationalisme serbe avant de se séparer du Monténégro. C’est le refus du
nationalisme signifié par l’abandon du « nom » de Yougoslavie qui
avait permis à la Serbie-Monténégro de retrouver l’élite du football en 2006,
un retour qui se fait dans la douleur avec trois défaite contre l’Argentine, la
Hollande et la Côte d’Ivoire….
Il est temps de repartir à Belgrade, d’autant que
le rêve de la grande fédération Serbe s’efface un peu plus en 2008 avec
l’indépendance (autoproclamée) du Kosovo. En 2010, l’aigle bicéphale Serbe de
la dynastie Nemanjic peut enfin s’envoler de ses propres ailes pour l’Afrique
du Sud et malgré la (surprenante) décevante défaite initiale face aux Black Stars du
Ghana, la Serbie marque son retour au sommet du football, emmené par Dejan
Stankovic qui participe ainsi à sa troisième Coupe du Monde. La première sous
le maillot de la république Fédérale de Yougoslavie en 1998, puis sous celui de
la Serbie-Monténégro en 2006 et enfin sous celui de la Serbie cette année ce
qui fait de lui le premier footballeur à avoir joué pour trois sélections en
Coupe du Monde.