mardi 9 novembre 2010

Chroniques de Serbie : Ultras Serbes, entre nationalisme et orthodoxie…


Le procès des membres des IRR, groupe ultra, nationaliste, ouvertement xénophobe et néo-nazis, qui ont mortellement agressé Brice Taton a repris le 8 novembre et devrait durer jusqu'au 26, date à laquelle est attendu le verdict. Quatorze personnes sont accusées de "meurtre aggravé" et risquent jusqu'à 40 ans de prison. Deux individus, considérés comme les donneurs d'ordre, sont toujours en cavale.

Predrag Simic, un des chefs des Grobari avait déclaré après leurs arrestations « qu’ils avaient pu considérer que les supporters Toulousains leur lançaient un défi en venant groupés au centre de Belgrade (…) Ils auraient dû se déclarer auprès des responsables de la Police et du Partizan de manière à ce que la Police les encadre… »

Depuis cette agression, les hooligans serbes n'ont pas fait profil bas. Bien au contraire. Le 10 octobre dernier, ils se sont livrés à une véritable démonstration de force dans les rues de Belgrade, saccageant et pillant tout sur leur passage en marge de la Gay pride, qui n'avait pas eu lieu depuis dix ans parce qu'elle attire tout ce que le pays compte de casseurs et d'ultranationalistes.

Deux jours plus tard, les ultras serbes mettaient à sac le stade Marassi à Gènes, lors du déplacement de l'équipe nationale, provoquant des scènes d'une violence inouïe dont les images ont fait le tour du monde. Ces ultras sont unis par un même sentiment de haine contre l'Occident, dans ce contexte les homosexuels étant considérés comme une incarnation de la dégénérescence de l'Ouest…

Pourtant, l'alliance du nationalisme et du football ne date pas d'hier en ex-Yougoslavie ; on considère même que c'est un match de foot qui a dégénéré entre le Dinamo de Zagreb et l'Etoile rouge de Belgrade le 13 mai 1990 qui a donné le signal de la désagrégation du pays. Depuis, les clubs de supporters ont constitué un inépuisable vivier pour les chefs de guerre, tel Zeljko Raznatovic dit "Arkan" (tué en 2000) qui unifia tous les ultras de l’Étoile Rouge au sein des "Delije". Aujourd'hui, les grands clubs continuent d'entretenir des liens troubles avec la classe politique, dont de nombreux représentants siègent au sein des conseils d'administration, aux côtés d'hommes d'affaires à la réputation douteuse. Les présidents des associations de supporters gèrent, eux, de confortables fortunes amassées grâce à la revente de billets achetés en gros ; ils disposent de surcroît d'une véritable milice privée, constituée de jeunes facilement manipulables et prêts à se battre.

C’était le cas des meurtriers de Brice Taton et de plus ces hooligans n'étaient pas tous des jeunes provinciaux paumés, issus de familles pauvres et sans perspectives d'avenir. Parmi eux, il y a de nombreux fils de notables, à l'instar du " vojd " (chef) des ultras serbes à Gènes, Ivan Bogdanov qui habite chez ses parents dans un quartier chic de Belgrade, en face de l'ambassade d'Israël et à quelques rues de la résidence d'Ivica Dacic, le ministre de l'intérieur.

Unis par leur haine de l'Occident, mais aussi par une "idéologie du sol et du sang", ces hooligans ont, à la différence de leurs homologues occidentaux, une importante dimension politique et veulent dès lors saboter l'intégration européenne de la Serbie. Ils ne cachent pas leur appartenance à diverses organisations ultranationalistes et d'extrême droite, dont ils constituent la partie la plus visible et la plus violente. Certains de ces groupes, comme Obraz, "1389" (l'année de la bataille du Kosovo) ou Sabor Dveri ont une dimension nationale ; d'autres, une implantation plus locale : Nacionalni Stroj (Voïvodine), Nasi (Serbie centrale), Nomokanon (Belgrade)… Mais dans la rue, ils agissent (souvent) de manière concertée malgré leur antagonisme initial…

Mais au final, ce qui inquiète le plus les milieux pro-européens de Belgrade sont les liens que cette nébuleuse peut avoir avec des hommes politiques de premier plan tels ceux du Parti démocratique de Serbie (DSS) de l'ancien Premier ministre Vojislav Kostunica et surtout avec l'Eglise orthodoxe serbe car c'est souvent elle qui apporte une caution morale à ces extrémistes quand ce n'est pas une aide matérielle…