De l’entre-deux-guerres du football anglais, on
dit souvent qu’il fut "l’ère des managers". En réalité, ce ne fut
l’ère que d’un manager, d’un homme, qu’une époque pourtant troublée comme les
années 30 connut au faîte de la gloire.
À elles seules, les 90 minutes de la
finale de la "Cup" 1930 Arsenal - Huddersfield, portent en résumé toute
l’histoire du football que le répit entre les deux conflits mondiaux accorda
aux hommes entre 1918 et 1939.
Sept ans après qu’un manager, découragé par la
passion exclusive qu’Huddersfield nourrissait pour le rugby, eut recommandé que
le club "émigre tout entier à Leeds où enfin il trouverait un entourage
favorable", l’équipe d’Huddersfield Town était au sommet de sa gloire. En
1926, elle était devenue en effet la première équipe de l’Histoire à enlever
trois titres consécutifs (1924, 1925 et 1926). Neuf ans plus tard, Arsenal
allait renouveler l’exploit d’Huddersfield, en s’attribuant les championnats de
1933, 1934 et 1935. Et à la tête des deux clubs, au moment de leurs heures de
gloire respectives, un homme, le même : Herbert Chapman. Et entre les deux
périodes, comme un trait d’union, une finale de Coupe 1930 entre Huddersfield
l’ancien, et Arsenal, le nouveau club de Chapman, que, bien sûr, Arsenal
remporta...
Herbert Chapman était né dans le sud du
Yorkshire, en 1873. De sa carrière active de footballeur, avec l’équipe réserve
de Tottenham, l’histoire n’a retenu que la couleur jaune citron de ses
chaussures. Arrivé à l’âge ou l’on "raccroche les crampons", il se
tourna vers la carrière d’entraîneur, et commença par diriger une petite
formation évoluant dans la Ligue du Sud, Northampton Town. Il partit ensuite à
Leeds, qui opérait alors en Division 2, mais, en 1919, le club fut disqualifié
par la "Football League" pour avoir effectué des paiements illégaux.
Une nouvelle équipe remplaça aussitôt l’ancienne, Leeds United succéda à Leeds
City, mais Herbert Chapman et les joueurs de Leeds City restèrent sur la
touche. Chapman se reconvertit alors un temps dans le management, mais il n’eut
guère le loisir d’y prouver sa valeur, car Huddersfield, au lieu de déménager à
Leeds comme il en avait manifesté le désir auparavant, choisit de racheter les
joueurs de Leeds City et, au lever de sa suspension, en septembre 1920, son
manager.
Sous la direction de Chapman, Huddersfield obtint
son premier succès deux ans plus tard, arrachant la Coupe à Preston North End
sur un penalty discutable, puis enleva son premier championnat deux saisons
plus tard encore, au goal average, devant la surprenante équipe de Cardiff
City. En 1925, Huddersfield conservait aisément son titre, établissant un
nouveau record défensif avec 28 buts encaissés seulement en 42 matches, et, en
1926, devenait le premier club à réussir la passe de trois. Mais, Herbert Chapman,
en 1926, avait déjà quitté Huddersfield ; il était à Arsenal, alors que le
club londonien peinait pour suivre le rythme de la première Division, et qu’une
pléiade d’offre émanant de tous les clubs de la "League" lui avait
offert la possibilité de prendre en charge les plus prestigieuses formations.
Les succès d’Huddersfield avaient quelques chose
d’étonnant. Installé en plein pays de Rugby, le club n’offrait guère de
possibilités de recette, et limitait donc singulièrement la marge de manoeuvre
du manager dans le domaine du recrutement. De fait, l’effectif que Chapman
avait réuni dans le Yorkshire ne présentait pas de joueurs sortant de
l’ordinaire, si ce n’est Alex Jackson, l’un de ces sorciers écossais qui, avec
ses petits camarades, allait ridiculiser l’Angleterre en 1928 (5-1). Parmi les
autres noms de l’ensemble, on relevait celui de Clem Stephenson, le capitaine
de l’équipe d’Angleterre, l’homme d’Aston Villa au rêve prophétique ; mais
Stephenson était déjà largement trentenaire lorsqu’il remporta son premier
titre avec Huddersfield. Citons encore Sam Wadsworth, un solide arrière
central, international lui aussi, et c’est à peu près tout.
En réalité, le secret de Chapman avait consisté à
choisir des joueurs non en fonction de leur réputation, mais de la faculté
qu’il leur supposait de fondre dans la collectivité leurs qualités
individuelles. Et à ce jeu-là, Chapman, remarquable sondeur d’âmes, était quasi
infaillible.
Le départ de Chapman pour Arsenal coïncida, sans
qu’en aucune façon les deux événements puissent être liés, avec la décision de
la FA de modifier une nouvelle fois la loi du hors-jeu. Désormais, il n’était
plus nécessaire d’être couvert par trois adversaires pour ne pas être hors-jeu,
deux, estimait la FA, suffisant, c’est à dire le gardien plus un défenseur. La
loi est toujours en vigueur de nos jours. La FA avait eu la main forcée dans sa
décision par l’attitude plutôt négative des clubs, qui, systématiquement,
faisaient remonter leurs défenseurs, à hauteur des quarante mètres, de façon à
empêcher l’adversaire d’élaborer son jeu offensif, ce qui valait ainsi au
public des matchs hachés de coups de sifflet, et dont l’essentiel se déroulait
sur une distance de 15 mètres, environ, de part et d’autre de la ligne médiane.
Nottingham Forest, avant la guerre, avait déjà
trouvé ingénieux ce système et l’avait pratiqué épisodiquement, mais ce n’est
qu’après le conflit, au tout début des années 20, que Newcastle, sous
l’impulsion de ses deux arrières McCracken et Hudspeth, l’éleva à la hauteur
d’une véritable institution. La paire McCracken-Hudspeth s’était attiré une
telle notoriété, avec cette trouvaille, que lorsqu’une équipe arrivait à la
gare de Newcastle et que le chef de gare faisait entendre son sifflet, la
plaisanterie partait, inévitable : "Ca y est ! On est déjà hors
jeu !"
Quand le temps eut fait du hors-jeu une entrave
quasi insurmontable au jeu d’attaque, l’International Board, l’organe
législateur de la FA décida d’agir dans le sens d’un assouplissement de la loi.
On en revint donc à la notion de hors-jeu à partir du moment où deux joueurs
seulement se trouvaient entre l’attaquant et la ligne de but adverse. Et les
première conséquences ne tardèrent pas à se manifester : de 1192 en
1924-25, le nombre de buts inscrits par les attaques de division 1 passa à 1703
l’année suivante, ce qui équivalait, sur l’ensemble de la saison, à un but
supplémentaire par match !
Mais le calcul, rentable à court terme, révéla à
plus longue échéance des effets néfastes. Car les managers, constatant la
nouvelle perméabilité de leur défense, n’allaient pas tarder à faire décrocher
un attaquant de façon à venir renforcer les lignes arrières, ce glissement
s’effectuant bien évidemment au détriment du jeu offensif. Du 2-2-6, le schéma
tactique des équipe se mua bientôt en 3-2-5. On ne sait pas précisément qui, le
premier, eut l’idée du troisième défenseur, et si certains avancent le nom de
Spencer, demi-centre de Newcastle United, beaucoup virent en Herbert Chapman le
père spirituel du 3-2-5.
Source : "Le Football Britannique",
par Patrick Blain, aux éditions Famot, 1979