mardi 11 octobre 2011

Chroniques de Bosnie-Herzégovine : Des stades de plus en plus violents (Part II)…

Le match a commencé sans incidents. Tout s’est bien passé presque jusqu’à la fin, quand les fans du Zrinjski ont soudain envahi le terrain en réponse à un but marqué par le Velez dans les derniers instants. Contrairement à ce qui s’était produit à Banja Luka, ici les joueurs adverses furent les principales cibles des supporters. Réfugiés dans les vestiaires, ces derniers furent escortés par la Police jusqu’à la « partie Est » de Mostar, où les attendaient leurs propres supporters pour fêter la victoire. Mais le goût du triomphe est amer dira le capitaine du Velez.


En étudiant les témoignages et les vidéos des incidents, il résulte qu’un joueur du Velež a été sauvé par ses adversaires du Žrinjski. Ils l’ont d’abord défendu sur le terrain, puis lui ont donné un de leur maillot pour qu’il puisse échapper aux supporters et s’éloigner du terrain « tranquillement ». En même temps, de l’autre côté du terrain, un autre joueur du Zrinjski a tenté de faire un croc en jambe un des joueurs adverses en fuite, le tout sous l’œil des caméras. Malgré des excuses publiques suite à son geste, Mile Pehar, 20 ans, a été exclu de la sélection espoir de Bosnie-Herzégovine.

Une fois les joueurs partis, les supporters ont continué de passer leurs nerfs dans les rues de la ville, pourtant quadrillée par la police, qui n’a pas pu éviter l’affrontement. Le bilan provisoire fait état de huit arrestations.

Bosnie, génération 1990

On pourrait conclure que ce qui s’est produit lors des deux matchs n’est qu’un épisode de plus en ligne avec les standards de la violence dans les stades d’Europe. En Suisse, le derby de Zurich a lui-même été arrêté à cause de violences dans le stade entre supporters. Pourtant, on devrait peut-être analyser ces faits en profondeur, sans pour autant les « balkaniser ». Souvenons-nous des images de Dinamo Zagreb-Etoile Rouge de Belgrade du 13 mai 1990, souvenons-nous de tout ce qui s’est produit dans la décennie qui a suivi. Il ne s’agit pas de faire resurgir les fantômes du passé pour chercher à lire le présent, il faut juste les conserver à l’esprit.

Le football, en Bosnie comme ailleurs, permet d’offrir un espace aux expressions les plus triviales d’une société, qu’elle soit en transition, en voie de développement ou bien riche et opulente. Parfois, il illustre un mal-être d’habitude caché, et constitue un faisceau de signaux qu’il faut capter pour comprendre la société.

La guerre silencieuse qui affole les employés des urgences qui voient chaque week end défiler des jeunes blessés issus de rixes, qui n’ont pas toutes à voir avec le football, plonge ses racines dans un malaise profond, la colère d’une génération née dans les années 1990, conditionnée par le conflit (92-95) de façon différente des combattants, des rescapés et à qui prétend en étudier les comportements.

Non seulement ces jeunes n’ont pas de souvenir direct de la guerre, mais pas de souvenir non plus de l’avant-guerre. Elevé dans un après-guerre dont on peine à définir les contours temporels, ils sont le produit d’une société qui n’est pas au clair avec son passé proche, d’un système et d’une classe politique qui doivent encore leur existence aux catégories de nationalité et d’appartenance religieuse.

Catégories exhumées après la mort de Tito, cuisinées sur le feu de quatre ans de siège, d’assauts, de viols, de massacres et de déplacements de populations, réchauffées et servies sur un plateau dans les écoles selon des programmes d’instruction différents, en vigueur depuis les accords de Dayton. À cela s’ajoute une situation de crise économique durable, toutefois sans distinction d’appartenance, pour une fois.

La récente libéralisation des visas touristiques pour l’espace Schengen a apporté un peu d’équité dans le pays puisqu’avant, ceux qui n’avaient pas de passeport croate ou serbe devait se plier aux interminables, humiliantes et coûteuses files d’attente devant les ambassades pour obtenir le précieux document. La concession des puissances européennes s’est malheureusement révélée être trop tôt un privilège réservé à peu de gens. Sans argent, on ne peut aller nulle part. Ainsi, de nombreux jeunes continuent de vivre dans un monde fermé, confiné dans leur quartier, leur ville, leur entité. Dans ces conditions, difficile de relativiser, difficile d’imaginer seulement qu’ailleurs, pas si loin que ça, la question de la cohabitation ne se pose pas entre Mujo, Milan et Mario, mais au minimum entre Hans, Mohamed et Chung Yong.

La mort de Vedran Puljic

Peu de gens se sont souvenus de l’anniversaire de la mort de Vedran Puljić, supporter du FK Sarajevo, tué par balle aux abords du stade de Siroki Brijeg il y a deux ans, le 4 octobre 2009. Il ne suffit pas de se souvenir de Vedran et réclamer la vérité sur sa mort, il ne suffit pas de réfléchir à sécuriser les prochains matchs, il ne suffit pas d’arrêter les supporters. Il est temps de s’interroger sur la façon de répondre à la frustration de ces jeunes encore imberbes qui vont se battre tous les jours contre une tribune adverse, ainsi qu’au futur d’un pays entier qui est aussi dans leurs mains.

(Traduction d’un article de l’Osservatorio Balcani e Caucaso - Courrier des Balkans )