Le match a commencé sans incidents. Tout s’est bien passé
presque jusqu’à la fin, quand les fans du Zrinjski ont soudain envahi le
terrain en réponse à un but marqué par le Velez dans les derniers instants.
Contrairement à ce qui s’était produit à Banja Luka, ici les joueurs adverses
furent les principales cibles des supporters. Réfugiés dans les vestiaires, ces
derniers furent escortés par la Police jusqu’à la « partie Est » de
Mostar, où les attendaient leurs propres supporters pour fêter la victoire.
Mais le goût du triomphe est amer dira le capitaine du Velez.
En étudiant les témoignages et les vidéos des incidents, il
résulte qu’un joueur du Velež a été sauvé par ses adversaires du Žrinjski. Ils
l’ont d’abord défendu sur le terrain, puis lui ont donné un de leur maillot
pour qu’il puisse échapper aux supporters et s’éloigner du terrain
« tranquillement ». En même temps, de l’autre côté du terrain, un
autre joueur du Zrinjski a tenté de faire un croc en jambe un des joueurs
adverses en fuite, le tout sous l’œil des caméras. Malgré des excuses publiques
suite à son geste, Mile Pehar, 20 ans, a été exclu de la sélection espoir de
Bosnie-Herzégovine.
Une fois les joueurs partis, les supporters ont continué de
passer leurs nerfs dans les rues de la ville, pourtant quadrillée par la
police, qui n’a pas pu éviter l’affrontement. Le bilan provisoire fait état de
huit arrestations.
Bosnie, génération 1990
On pourrait conclure que ce qui s’est produit lors des deux
matchs n’est qu’un épisode de plus en ligne avec les standards de la violence
dans les stades d’Europe. En Suisse, le derby de Zurich a lui-même été arrêté à
cause de violences dans le stade entre supporters. Pourtant, on devrait
peut-être analyser ces faits en profondeur, sans pour autant les
« balkaniser ». Souvenons-nous des images de Dinamo Zagreb-Etoile
Rouge de Belgrade du 13 mai 1990, souvenons-nous de tout ce qui s’est produit
dans la décennie qui a suivi. Il ne s’agit pas de faire resurgir les fantômes
du passé pour chercher à lire le présent, il faut juste les conserver à l’esprit.
Le football, en Bosnie comme ailleurs, permet d’offrir un
espace aux expressions les plus triviales d’une société, qu’elle soit en
transition, en voie de développement ou bien riche et opulente. Parfois, il
illustre un mal-être d’habitude caché, et constitue un faisceau de signaux
qu’il faut capter pour comprendre la société.
La guerre silencieuse qui affole les employés des urgences qui
voient chaque week end défiler des jeunes blessés issus de rixes, qui n’ont pas
toutes à voir avec le football, plonge ses racines dans un malaise profond, la
colère d’une génération née dans les années 1990, conditionnée par le conflit
(92-95) de façon différente des combattants, des rescapés et à qui prétend en
étudier les comportements.
Non seulement ces jeunes n’ont pas de souvenir direct de la
guerre, mais pas de souvenir non plus de l’avant-guerre. Elevé dans un
après-guerre dont on peine à définir les contours temporels, ils sont le
produit d’une société qui n’est pas au clair avec son passé proche, d’un
système et d’une classe politique qui doivent encore leur existence aux
catégories de nationalité et d’appartenance religieuse.
Catégories exhumées après la mort de Tito, cuisinées sur le feu
de quatre ans de siège, d’assauts, de viols, de massacres et de déplacements de
populations, réchauffées et servies sur un plateau dans les écoles selon des
programmes d’instruction différents, en vigueur depuis les accords de Dayton. À
cela s’ajoute une situation de crise économique durable, toutefois sans
distinction d’appartenance, pour une fois.
La récente libéralisation des visas touristiques pour l’espace
Schengen a apporté un peu d’équité dans le pays puisqu’avant, ceux qui
n’avaient pas de passeport croate ou serbe devait se plier aux interminables,
humiliantes et coûteuses files d’attente devant les ambassades pour obtenir le
précieux document. La concession des puissances européennes s’est
malheureusement révélée être trop tôt un privilège réservé à peu de gens. Sans
argent, on ne peut aller nulle part. Ainsi, de nombreux jeunes continuent de
vivre dans un monde fermé, confiné dans leur quartier, leur ville, leur entité.
Dans ces conditions, difficile de relativiser, difficile d’imaginer seulement
qu’ailleurs, pas si loin que ça, la question de la cohabitation ne se pose pas
entre Mujo, Milan et Mario, mais au minimum entre Hans, Mohamed et Chung Yong.
La mort de Vedran Puljic
Peu de gens se sont souvenus de l’anniversaire de la mort de
Vedran Puljić, supporter du FK Sarajevo, tué par balle aux abords du stade de
Siroki Brijeg il y a deux ans, le 4 octobre 2009. Il ne suffit pas de se
souvenir de Vedran et réclamer la vérité sur sa mort, il ne suffit pas de
réfléchir à sécuriser les prochains matchs, il ne suffit pas d’arrêter les
supporters. Il est temps de s’interroger sur la façon de répondre à la
frustration de ces jeunes encore imberbes qui vont se battre tous les jours
contre une tribune adverse, ainsi qu’au futur d’un pays entier qui est aussi
dans leurs mains.
(Traduction d’un article de l’Osservatorio Balcani e Caucaso - Courrier des Balkans )